Shift Technology, les secrets de la licorne

Shift Technology, les secrets de la licorne

Alexandre Pengloan
Rédigé par Alexandre Pengloan
09 décembre 2022 - 5 minutes

Ce n’est pas la plus médiatique… et pourtant, il s’agit certainement de la plus emblématique réussite de l’insurtech française jusqu’à présent. Shift Technology, c’est une équipe de 600 personnes, une présence dans plus de 20 pays, une valorisation supérieure à un milliard d’euros et un savoir-faire unanimement reconnu.

A l’heure où le secteur de l’assurance se digitalise à marche forcée, les solutions d’IA conçues par l’insurtech, notamment pour traquer la fraude, représentent un must pour n’importe quel assureur, aux quatre coins du monde.

Depuis ses premiers pas, la licorne a tissé une toile impressionnante, et l’aventure ne fait que commencer. Elle nous a ouvert ses portes pour nous partager quelques-uns de ses secrets. Embarquez à la découverte d’un acteur qui incarne brillamment l’excellence de la tech à la française.

L’intelligence artificielle, le bon filon !

Shift, c’est d’abord l’histoire d’une jeune pousse qui, comme la plupart, est partie de loin. En 2013, Jeremy Jawish, Eric Sibony et David Durrleman lancent leur startup avec une idée en tête : aider les assureurs grâce à l’intelligence artificielle. A l’époque – lointaine à l’ère digitale ! -, il faut convaincre à la fois investisseurs et clients de leur faire confiance alors que l’IA est encore largement vue comme un gadget. Ils obtiennent une première levée de 1,4 million d’euros et, après deux ans d’efforts, signent enfin leur première référence.

Rapidement, le produit fait ses preuves. Très facilement scalable, il permet à Shift de se déployer à l’international (Mexique, Singapour) avant même la Série A. La machine est alors lancée. La digitalisation du secteur amène de nouveaux enjeux. La fraude en est un, majeur, et n’épargne aucun assureur.

En adressant cette brique, Shift s’ouvre un monde d’opportunités et avance vite. L’insurtech noue des liens avec les principaux assureurs en France et étoffe en parallèle son réseau à l’étranger. Aujourd’hui solidement implantée en Europe, elle travaille également les marchés américains et japonais, notamment.

La pandémie comme le contexte économique tendu ne freinent pas l’ascension de la pépite. Au contraire, alors que le marché se questionne clairement sur le modèle B2C dans l’insurtech, il justifie dans le même temps la pertinence du modèle choisi par les enablers. Comme au temps de la conquête de l’Ouest, les marchands de pioche semblent les mieux placés pour empocher la plus grosse part du gâteau.

Une diversification des produits entamée

Pour Shift Technology, impossible de se reposer sur ses lauriers. Et pour cause ! L’insurtech est en effet lancée dans « une course permanente contre les fraudeurs », ainsi que l’explique Arnaud Grapinet. Le Chief Data Scientist décrit un univers en perpétuelle évolution, avec 3 grandes tendances de la fraude observables en France actuellement :

  • la criminalité organisée, historique autour de l’assurance, qui demeure un moyen de blanchir de l’argent tout en retirant du profit ;
  • la fraude qui tire profit de la digitalisation de l’assurance. Il est aujourd’hui possible de souscrire 50 contrats en ligne chez le même assureur avec des identités volées, et d’orchestrer par la suite une série de faux sinistres ;
  • la fraude sur la branche santé / prévoyance. Le volume est énorme et les contrôles trop fastidieux. La fraude à l’assurance maladie obligatoire détectée avoisinerait ainsi la somme de 220 millions d’euros en 2021.

Arnaud Grapinet et ses équipes ont donc de nombreux défis à adresser. Shift compte aujourd’hui plus de 200 data scientists dans ses rangs, venus de tous horizons. Cette armée d’experts travaille au quotidien à l’élaboration de solutions d’avant-garde. Au départ, Shift proposait uniquement un outil pour aider les gestionnaires en première ligne dans la détection de la fraude. Depuis, l’insurtech a bien étoffé sa gamme de produits.

L’entreprise investit notamment, de plus en plus, le champ de la santé. Contrôle des flux, doublons, paiement à tort, ALD, accidents du travail à l’étranger… Nombreux sont les points de contrôle dans un secteur en besoin. Parallèlement, la licorne a développé des outils pour faciliter le recours entre assureurs, aider à mieux identifier la fraude à la souscription ou lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme. La gestion de documents ou l’optimisation des processus d’indemnisation sont également au programme.

L’intelligence artificielle se montre redoutablement efficace dans le jeu assurantiel et repousse bien des limites connues. Les perspectives apparaissent donc radieuses pour Shift qui devrait encore pouvoir se diversifier sur plusieurs segments dans les années futures.

« Notre ambition : que le software assurance devienne une spécialité française ! »

C’est une constante depuis les débuts dans le discours de Shift. Malgré la dimension logiquement internationale de leur projet, les dirigeants sont viscéralement attachés à conserver leur ancrage hexagonal. La R&D comme la majorité des équipes sont donc basées en France. Et quand l’entreprise a récemment recruté un nouveau CTO, Marc Jones, c’est lui qui a déménagé du Texas vers Paris, et non l’inverse. Un signal fort envoyé aux équipes.

Depuis 4-5 ans, les enablers ont décollé dans l’insurtech. C’est super et ça nous conforte dans notre ambition, celle de faire du software assurance une spécialité française. La France est reconnue mondialement pour son savoir-faire en aéronautique, par exemple. Je pense qu’il est aussi possible de le faire sur l’enabling.

Jeremy Jawish, CEO Shift Technology

C’est donc avec une ambition forte mais une direction toujours mesurée que Shift va aborder l’année 2023. Pas de levée de fonds au programme et, toujours un objectif d’indépendance financière à cinq ans. Un regard porté aussi vers les potentielles opportunités de M&A qui devraient se dessiner, mais avec une approche également prudente sur le sujet. Et surtout, une énergie renouvelée pour soutenir la dynamique de la French Tech, un écosystème en essor dont elle constitue l’un des plus beaux fleurons.