Libérer l'usage du vélo ? Élémentaire, mon cher Watson ! - Itw d'Alexandre Molla, CEO de Sharelock

Alexandre Pengloan
Rédigé par Alexandre Pengloan
17 janvier 2023 - 11 minutes

À l’occasion de sa dernière édition, fin 2022, l’Insurday inaugurait une grande nouveauté. À côté du traditionnel prix de l’insurtech de l’année – remporté par Stoïk -, l’événement proposait en effet, pour la première fois, une nouvelle récompense : le prix de la jeune pousse de l’année, venant consacrer une startup moins connue ou moins en avance de l’écosystème.

À l’issue d’une compétition relevée, avec des candidatures particulièrement qualitatives, c’est donc Sharelock qui a remporté ce prix. Le modèle original de l’insurtech, qui veut utiliser – notamment – le levier assurance pour favoriser l’essor d’une nouvelle mobilité plus douce, en commençant par le vélo, a séduit le jury. Alexandre Molla, cofondateur de l’entreprise, nous a fait le plaisir de passer sur le plateau de notre ‘Capsule Assurance’ pour nous en dire plus sur un projet dont vous allez forcément entendre parler dans les mois à venir.

Bonjour Alexandre ! Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans l’assurance ?

J’ai suivi un début de parcours classique. Après une école de commerce, j’ai intégré une banque d’affaires pour travailler dans les fusions-acquisitions. C’est ensuite que j’ai découvert l’opérationnel et l’univers de la mobilité en rejoignant Uber.

C’est aussi chez Uber que j’ai rencontré Nicolas Louvet. Il y a trois ans, il m’a demandé de réfléchir sur le sujet de la peur du vol de vélo, au moment où on observait un changement de paradigme avec la démocratisation des usages au quotidien.

À partir de là, on a imaginé Sharelock, en créant d’abord le premier réseau de cadenas partagés, une solution hardware déployée à travers la ville. Pour aller beaucoup plus loin, on a également concocté un produit d’assurance voué à devenir un débloqueur de la mobilité.

Je suis donc arrivé dans l’assurance non par vocation, mais selon un cheminement logique parce que la mission de Sharelock consiste à débloquer l’usage par la sérénité apportée.

Uber, une expérience fondatrice

Cette peur du vol, peut-on la quantifier ?

Plus de 90 % des cyclistes disent renoncer à des trajets parce qu’ils ne savent pas où ils vont garer leur vélo, parce qu’ils ont peur de se le faire voler ! Si on prend les chiffres de l’ADEME (Agence de la transition écologique), il manque plus de 20 millions de places de vélo sécurisées. Je ne parle pas d’arceau vélo, je parle de places sécurisées.

On estime que si on déployait à grande échelle du stationnement sécurisé en France, ce sont plus d’un million de vélo qui ressortiraient des caves. Le sujet du stationnement sécurisé a longtemps été laissé de côté. On parle souvent de pistes cyclables… mais 95 % du temps, le vélo reste immobile ! Et il est là, le vrai sujet.

Quand on veut débloquer massivement l’usage du vélo, c’est le sujet du stationnement et de la peur du vol qu’il faut adresser. Et on parle bien ici de mobilité personnelle car je rappelle qu’en France, 95 % des trajets de mobilité douce sont toujours effectués avec un véhicule personnel.

En quoi l’expérience Uber a-t-elle été fondatrice pour toi et Sharelock ?

L’expérience Uber m’a d’abord appris que la mobilité, c’est extrêmement complexe. Tout le monde pense comprendre ce secteur, parce qu’on se déplace tous, mais c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît ! Ça touche à notre quotidien, à des acteurs publics, à des acteurs privés, à l’infrastructure de la ville, aux transports en commun, motorisés, à la mobilité douce, aux aspects à la fois personnels et collectifs. Donc c’est avant tout la compréhension d’un écosystème extrêmement divers, et des acteurs qui le composent.

Le deuxième apport de l’expérience à Sharelock, c’est la compréhension des enjeux de l’hypercroissance et du scaling opérationnel. Lorsque je rejoins Uber en 2013, c’est une entreprise de 200 personnes, basées essentiellement aux États-Unis. C’est une toute petite équipe en France et en Europe. Et quand elle grandit, de nouveaux défis apparaissent. Comment faire croître le business, évidemment. Mais aussi comment gérer les médias, la réputation, les défis réglementaires, comment créer et impulser une forte culture d’entreprise. J’ai eu la chance d’accompagner ce mouvement durant six ans.

Uber, enfin, c’est là où j’ai rencontré Nicolas Louvet, qui est un des top experts européens de la mobilité. J’ai travaillé avec lui pendant plusieurs années, c’est devenu un ami et on a fondé ensemble Sharelock.

Sharelock en quelques chiffres clés, ça donne quoi ?

Le cadenas, un objet politique

Quel est le business model de Sharelock, sachant que vous proposez deux produits avec le cadenas et l’assurance ?

Aujourd’hui, Sharelock, c’est en effet deux produits. Sur le cadenas, c’est un business model qui pourrait s’apparenter à de l’infrastructure. Les revenus proviennent donc de l’usage, puisque ce sont les utilisateurs qui paient, soit à chaque utilisation ou via un abonnement pour utiliser le réseau. On peut ainsi amortir ce qu’on a déployé. Et c’est aussi le socle de visibilité et de légitimité qui va nous permettre de créer une marque forte dans la mobilité et la sécurité.

En ce qui concerne le produit d’assurance, nous sommes courtiers. C’est donc un classique business model de courtage. Et ce produit va notamment s’appuyer sur la légitimité créée grâce au cadenas.

Ces cadenas, justement, où sont-ils déployés ? Et quelles sont les perspectives ?

On a déployé notre cadenas dans deux régions, la métropole de Nice principalement, et plusieurs villes d’Ile-de-France. En revanche, on a des assurés Sharelock à travers toute la France. Les 2 offres sont décorrélées. Mais évidemment, on a des passerelles pour les assurés présents dans les villes où on a déployé notre cadenas.

En ce qui concerne les cadenas, on va se focaliser sur les zones où nous sommes déjà présents afin de les densifier. Ce déploiement massif doit constituer le socle de notoriété et de légitimité pour déployer l’assurance dans ces régions.

Quels sont les principaux défis pour déployer les cadenas dans les villes ?

Le principal défi du cadenas, c’est que, lorsqu’il est dans l’espace public, il devient un objet politique. Donc il faut avoir une forte volonté politique pour pouvoir le déployer facilement. Mais à partir du moment où les conditions sont réunies, ça va vite. À titre d’exemple, on a déployé plus de 700 cadenas au sein de la métropole de Nice au mois de juillet 2022 en moins de 3 semaines.

De manière générale, les autorités et pouvoirs publics valorisent le fait que c’est un dispositif extrêmement agile, qui ne nécessite pas de génie civil, et qui soit gratuit pour la collectivité puisque c’est nous qui portons l’investissement à ce stade.

La donnée pour comprendre comment un territoire respire en matière de mobilité

Côté assurance, Sharelock se veut une pionnière de l’assurance nouvelle génération. Tu nous en dis plus ?

Quelle est la stratégie retenue pour diffuser l’assurance dans les zones non pourvues en cadenas ?

Côté acquisition, on travaille sur plusieurs canaux. Avec les cadenas, on a une forte traction organique. Plus de 40% de nos assurés, c’est de l’organique pur ! En parallèle, on active les canaux digitaux, SEA, SEO, grands réseaux.

On travaille aussi des axes B2B2C, directement avec des magasins et des chaînes de distributeurs de cycles. L’objectif est ici d’être au plus près de l’achat tout en essayant aussi de comprendre au mieux les besoins des utilisateurs potentiels.

On collabore également avec plusieurs acteurs de l’assurance ou des fabricants de cycles pour intégrer notre offre ou compléter des offres existantes. Ça peut être sur des accessoires vélos, ou sur d’autres offres d’assurance, type MRH par exemple.

Enfin, un des gros angles pour 2023, ça va être la partie B2B : assurance de flottes, assurance en inclusion avec des fabricants ou autre, ce qu’on a déjà commencé avec les vélos Angell Bike par exemple.

La data est clé dans le projet Sharelock, tu confirmes ?

Moi et Nicolas, on a des expériences dans la mobilité, où la data a toujours été centrale. On peut même dire que c’est le terreau de Sharelock.

Donc au quotidien, via cette fonctionnalité de prise de photo que l’on offre à nos assurés – ce n’est pas une obligation –, nous récoltons des données uniques. On va être capables de comprendre où l’assuré se gare, à quelle heure, combien de temps il reste. Grâce à l’IA développée en interne, on peut identifier si c’est le bon vélo, s’il est bien accroché à un point fixe, combien il y a de cadenas, est-ce qu’on prend la roue, le cadre ou les 2 avec ce cadenas.

En tant qu’assureur, c’est précieux, pour mieux cerner les usages et la sinistralité associée. On va donc pouvoir affiner notre connaissance et donc, in fine, notre offre. En échange, l’assuré qui prend son vélo en photo peut réduire sa franchise en cas de vol. C’est du gagnant-gagnant !

Enfin, cette manne de données représente une opportunité de comprendre comment un territoire respire en matière de mobilité. Nous obtenons une base objective de données pour travailler avec les autorités publiques, et parfois privées, sur l’organisation du territoire et la promotion des mobilités douces.

Cette donnée est aussi utile dans la lutte contre la fraude ?

Oui, tout à fait. On a par exemple remarqué qu’il y avait une sur-sinistralité pour les assurés qui n’avaient pas renseigné leur BC code, le numéro de gravage du vélo, qui était très significative. Il a donc été relativement simple de faire évoluer notre protocole de remboursement en exigeant ce fameux numéro en cas de vol. A partir de là, on a pu corriger cette sur-sinistralité.

« Ce prix ? Il nous place sur la carte des acteurs émergents ! »

On a récemment participé, ensemble, à un webinaire sur le langage client dans l’assurance. Comment adressez-vous ce sujet chez Sharelock ?

Au cœur de notre proposition, il y a cette notion de confiance. L’offre, pour créer la confiance, doit être déjà simple. Il faut que le parcours client soit optimisé pour s’inscrire et souscrire aisément une assurance.

Il faut ensuite que l’offre soit transparente. Les notes de bas de page, les conditions particulières, etc. : il faut faire extrêmement attention à la manière dont on les partage. Il faut vraiment que d’un point de vue UX, ce soit lisible et transparent. Aucune mauvaise surprise ne sera tolérée.

Dernier point, si on veut générer et maintenir la confiance entre assuré et assureur, c’est la fiabilité. Si j’ai fait les choses dans les règles de l’art, et si j’ai un pépin, mon assureur doit être là. Je ne dois pas avoir à me poser la question : « comment je vais faire jouer mon assurance ? » Non, on doit être là en backup, coûte que coûte et par n’importe quel canal (dans l’app, au téléphone), quand il y a un problème.

Comment faire simple tout en conservant le réglementaire inhérent à l’assurance ? Un tip à partager ?

La base de la simplicité et de la transparence, c’est le produit lui-même ! Notre but consiste donc à construire, grâce à nos données, avec nos partenaires assureurs et réassureurs, un produit qui va être le plus simple possible à la base. C’est le premier tip.

Et si on veut qu’il soit vraiment transparent, il faut apporter dans tous les supports de communication, l’application ou le site internet, toutes les réponses aux questions qui peuvent éventuellement survenir. C’est ici un travail itératif.

Une des métriques qu’on regarde au quotidien par exemple, c’est le nombre de tickets par nouveaux assurés. Notre ambition, c’est que ce nombre soit en décroissance permanente. Ça voudra dire que notre FAQ répond à la majorité des questions, que la façon dont on présente les produits est la plus lisible et transparente possible.

Un peu de prospective : à quoi ressemblera la mobilité en 2035, et où se situera Sharelock dans cet univers ?

2030-35, c’est demain ! Et je ne vois pas de voitures volantes envahir notre ciel. Il y aura toujours des voitures, elles seront probablement un peu plus électriques. Il y a d’autres technologiques qui vont peut-être émerger, comme l’hydrogène par exemple, ou d’autres solutions qu’on ne connaît pas. Pour moi, la mobilité urbaine sera toujours plus douce, mais aussi accompagnée d’une infrastructure qui va permettre d’appuyer ce mouvement.

Sharelock, d’ici 10-15 ans, c’est une solution qui aura intégré toujours plus d’éléments pour débloquer l’usage du vélo. Mais pas uniquement. Aujourd’hui, notre expertise c’est le vélo, mais il y a d’autres modes de transport comme la trottinette qui nous intéressent. C’est clairement un terrain sur lequel on pourra envisager de déployer notre expertise.

L’assurance est pour le moment au cœur de notre offre car c’est la première brique en matière de protection du vélo. Plusieurs questions vont se poser. Est-ce qu’on veut aussi protéger la personne qui est sur le vélo ? Quels sont les services qu’on veut ajouter pour protéger le vélo et le cycliste ? Quels sont les services qu’on peut ajouter à notre écosystème pour débloquer encore et toujours plus l’usage ?

On adresse pour le moment la peur du vol, mais il y a d’autres pain points sur lesquels on peut aller, comme la réparation. On peut envisager d’intégrer des partenaires spécialistes. On voit bien le potentiel pour créer un écosystème de services autour de cette assurance.

Un mot sur l’Insurday, événement qui a vu Sharelock remporter le titre de jeune pousse de l’année ?