Mes Volontés, entre insurtech et deathtech | Itw de Clément Egger et Aurélie Drouvin

Mes Volontés, entre insurtech et deathtech | Itw de Clément Egger et Aurélie Drouvin

Sarada Nourby
Rédigé par Sarada Nourby
14 octobre 2022 - 8 minutes

La période de COVID a été une forte source d’inspiration dans le monde de l’entrepreneuriat, et notamment dans le domaine de la santé. Cette expérience extraordinaire a soulevé de nouvelles questions. Et ils sont nombreux à avoir planché pour trouver des réponses.

Le moment suivant le premier confinement a donc vu fleurir toutes sortes d’entreprises. Mes Volontés, créée par Aurélie Drouvin et Clément Egger, en fait partie. La jeune pousse rassemble et diffuse des informations sur son utilisateur en cas d’incapacité ou de décès, à ses destinataires. À la frontière entre l’insurtech et la deathtech, l’entreprise répond notamment à une demande forte engendrée par la digitalisation post-Covid.

Bonjour Aurélie et Clément, tout d’abord, pouvez-vous revenir sur la genèse de Mes Volontés ?

On prend un compte Mes Volontés, comme on prend une assurance. On espère qu’on n’en aura pas besoin, même si on va tous mourir un jour, mais au moins dans le cas de l’incapacité. Au cas où, on sait que l’essentiel est transmis et tout ne tombe pas dans un trou noir le temps que je sois indisponible. 

Et en quoi ça consiste exactement ?

Aurélie Drouvin : Mes Volontés, c’est un service ultra sécurisé sur lequel vous déposez des infos personnelles, professionnelles, importantes et sensibles. Et nous, notre rôle, c’est de les transmettre aux personnes qui vous avez désignées au moment où vous ne pouvez plus le faire vous-même. On a un seul service qui est la séquestration et la transmission de l’information, mais qu’on a découpé en plein de services différents. 

Clément Egger : Le plus utilisé, c’est la transmission d’informations pour la continuité des entreprises, notamment de la part des entrepreneurs, libéraux, chefs de TPE, etc. Des postes où si cette personne disparaît même trois mois, la situation peut être catastrophique. La partie réseaux sociaux est également très utilisée parce que c’est une interrogation majeure des 30/40 ans. 

« On pensait avoir des jeunes seniors comme utilisateurs. On se rend compte que pas vraiment ! »

Votre principale cible, ce sont les entrepreneurs. Était-ce celle que vous visiez depuis le début ?

AD : Non pas vraiment. L’idée nous est venue quand on a lancé le service mais au départ, on l’a vraiment fait grand public. On s’était dit qu’on aurait principalement des jeunes seniors comme utilisateurs. On se rend compte que pas vraiment ! En réalité, on est plus sur une tranche d’âge de 40/50 ans et des entrepreneurs qui trouvent leur intérêt dans la sécurisation de leur activité.

Du côté de la partie personnelle, là, quand on contacte nos utilisateurs pour améliorer notre plateforme, on se rend compte que ce sont des gens qui ont déjà vécu une succession compliquée. Eux-mêmes ont une situation familiale difficile (divorce, remariage…) et ne veulent pas que ça se reproduise. Il y a une vraie prise de conscience sur la succession et une vraie volonté de soulager ses proches dans les démarches qui suivent. 

La plateforme de Mes Volontés, comment fonctionne-t-elle ?

Comment sont délivrées les informations sur la plateforme ?

AD :  Lors de votre inscription, vous choisissez vos destinataires. C’est-à-dire à qui seront délivrées vos informations et à quel moment (incapacité ou décès). Mais vous devez également nommer au moins une personne de confiance. Elle, va pouvoir nous donner la preuve de votre état si vous n’avez pas montré signe de vie.

En effet, nous mettons en place avec vous un moyen de prise de contact régulier. Un lien sur lequel vous cliquez par exemple. Lorsque vous ne le faites plus et que nous n’avons pas réussi à vous joindre autrement, nous prenons contact avec votre personne de confiance. Elle pourra donc libérer vos infos après nous avoir transmis un certificat médical ou acte de décès. 

Selon vous, qu’est-ce qui fait la force de votre plateforme ?

CE : Pour moi, la granularité de la distribution de l’information est une grosse force de Mes Volontés. Il y a déjà des coffres-forts en ligne ou des Drive qui existent pour stocker vos infos, mais c’est juste un coffre. La personne qui a accès au Drive a accès à tout ce que vous mettez dedans.

Si vous voulez être sûr que deux personnes aient reçu la même info pour qu’il n’y ait pas de contestation, le mécanisme des coffres-forts standards ne permet pas de le faire. Là, sur Mes Volontés, on est capable de couvrir des cas de figure plus variés et complexes mais pourtant nécessaires dans la réalité.

AD : Et aussi la façon dont on a pensé le service ! Il ne s’agit pas seulement d’attendre un décès. On parle aussi d’informations à transmettre dans le cas d’incapacité, c’est même comme ça qu’on a pensé la plateforme. On est vraiment sur la continuité. !

Quels sont vos tarifs ?

AD : Ce sont des abonnements annuels. Pour la partie informations personnelles, c’est 15€ ou 30€ en fonction du nombre d’informations que vous laissez. Et pour la partie pro, c’est 100€ par an. Quoi qu’il arrive, à l’inscription, vous avez 1 mois gratuit pour tester et choisir ce que vous voulez entrer comme données.

Enfin, si vous ne prenez pas d’abonnement, la partie dernières volontés (directives anticipées, les dernières volontés, présence d’un testament…) est gratuite. Et notre business model repose exclusivement sur ces abonnements. Qu’ils soient directs avec les abonnés ou indirectement à travers une offre préférentielle via un assureur ou autre.

Une solution à la déshérence ?

Quel est votre premier argument pour convaincre les assureurs ?

Vous avez déjà noué des partenariats avec des professions. Pouvez-vous nous en parler ?

CE : Nous avons signé un partenariat avec l’ordre des experts-comptables. Il est né du constat de la digitalisation de la profession et de l’incapacité de reprendre l’activité si la personne est malade (en réanimation après le COVID par exemple).

Avec les experts-comptables, on fonctionne en marque blanche mais idéalement, on fonctionne sous la marque Mes Volontés. C’est une question d’image et de responsabilité. S’il se passe quelque chose de notre côté, ils devront tout de même assumer les conséquences face à leurs clients. 

« Aujourd’hui, qui a encore des disques à léguer à ses enfants ? Non, vous avez plutôt un compte Spotify ! »

Pour le moment combien d’utilisateurs avez-vous ?

CE : Pour le moment, nous avons 2 000 utilisateurs inscrits individuellement et potentiellement 6 000 experts-comptables dont quelques centaines sont déjà inscrits.

En ce qui concerne le futur, ce qui nous avantage, c’est qu’on est sur une courbe démographie qui nous favorise. On arrive sur la génération des 40/50 ans voire plus jeunes qui sont très à l’aise sur les questions numériques. Et ils ont presque autant de choses numériques à léguer que des choses physiques. Aujourd’hui qui a encore des disques à léguer à ses enfants ? Non, vous avez un compte Spotify. Pour les livres, on a de plus en plus de tablettes Kindle. Moi, je sais que j’ai plus de 1 000 livres que j’ai payés, ça m’embête un petit peu d’avoir dépensé une telle somme s’ils sont perdus ensuite. 

Et d’un point de vue web3 ? 

CE : Oui, aussi ! Là j’ai pris des exemples plus flagrants, mais sur la crypto et le métavers par exemple, les gens vont avoir de plus en plus de possessions à transmettre et il va leur falloir un moyen de le faire !

On n’incite pas les gens à laisser le code de leur cryptomonnaie sur Mes Volontés mais au moins de dire à leurs ayants droit qu’il ont un wallet avec du bitcoin ou de l’ethereum dessus, et à quel endroit le trouver. 

En 2017, on estime qu’il y avait plusieurs milliards de dollars de bitcoins perdus à tout jamais juste parce que les titulaires étaient morts sans laisser d’info.

« Préparez-vous à mourir » ou l’art de communiquer sur la mort

Vous avez un PDF d’explication que vous avez intitulé « Préparez-vous à mourir ». Ça peut-être mal perçu comme formulation. Comment communiquez-vous sur ce genre de sujet ?

AD : On a plusieurs approches ! En général, on ne veut pas penser à la mort, c’est désagréable. Il faut donc une approche très délicate. Mais parfois, on a besoin d’être accrocheur. Et au final « Préparez-vous à mourir », c’est provocateur mais c’est aussi très instructif. Et c’est plutôt bien passé sur les réseaux ! En plus, le document est très consensuel sur les démarches à faire et à penser. 

C’est vraiment sur la partie blog qu’on est très pédagogique. Et dès qu’on veut communiquer, on parle entre nous avant. On est toujours sur une corde raide. 

Quid des réseaux sociaux ? 

AD : On est présent sur Facebook, Twitter et LinkedIn, mais on est moins actif sur Facebook. On a remarqué que c’était très délicat d’y parler d’un tel sujet. Au début, on y était parce qu’on pensait que notre clientèle allait être les jeunes seniors mais au final ce n’est pas le cas. Sur Twitter par contre, on arrive à échanger avec nos clients. Aujourd’hui, on a au moins 30% de nos utilisateurs qui sont issus des réseaux sociaux.

Vous pourriez être une cible toute désignée pour les hackers. Comment vous protégez-vous ?

CE : L’essentiel de notre travail, c’est de la sécurité, c’est pour ça qu’on fait des évolutions fonctionnelles assez longues parce qu’on y passe beaucoup de temps. On stocke des informations précieuses, mais dans la conception de la plateforme, on fait en sorte de décourager les éventuels hackers en rendant la chose très compliquée.

Et donc, ça ne vaut pas le coup de perdre du temps pour récupérer une seule information. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile d’aller mettre des liens corrompus dans des mails qui visent les hôpitaux. Chez Mes Volontés, oui, on a des données importantes mais le chemin pour les obtenir est beaucoup trop long et compliqué. 

Celui qui dit qu’il n’y a aucun risque est un menteur ! On ne peut clairement pas admettre une telle chose, mais nous avons essayé de réduire le plus possible ce danger. 

Le monde entièrement digitalisé dans lequel nous vivons demande de plus en plus de simplification au niveau des démarches et ça, Mes Volontés l’a bien compris. La jeune entreprise n’en est qu’à ses début et pourtant, les retours positifs sont déjà là. La plateforme est actuellement en discussion avec plusieurs assureurs et mutualistes pour des partenariats.