La plateforme qui tue le game dans la DeathTech | Itw de Marie Salmon, CEO d'Alanna

La plateforme qui tue le game dans la DeathTech | Itw de Marie Salmon, CEO d'Alanna

Sarada Nourby
Rédigé par Sarada Nourby
06 mai 2022 - 8 minutes

La « french touch » s’invite dans tous les secteurs… et la mort ne fait pas exception ! Vous n’avez jamais entendu parlé de la DeathTech ? Pourtant depuis la crise sanitaire et le premier confinement, cette niche s’est développée. C’est d’ailleurs à ce moment-là que Marie Salmon a eu l’idée d’Alanna.

Plateforme sociale d’accompagnement et de recueillement, marketplace du deuil, l’entrepreneuse n’a pas fait les choses à moitié. Elle a ainsi lancé, il y a tout juste 6 mois, une solution inédite en France et dans le monde qui permet de se rassembler autour de la perte d’un proche. Rencontre avec une femme qui n’y va pas de main morte pour secouer un milieu considérablement en retard sur le digital : le funéraire.

Marie Salmon - CEO Alanna

« Il y a 2 événements qui rassemblent les familles : les mariages et les enterrements »

Bonjour Marie ! Tout d’abord, pouvez vous nous parler un peu de vous ?

Je m’appelle Marie Salmon et je suis la fondatrice d’Alanna. Au départ, rien ne me prédestinait à la DeathTech. J’ai toujours été dans le retail, dans des entreprises comme La Redoute et Jules. En 2015, je déménage à Londres où j’ai eu l’occasion de travailler pour deux enseignes à succès : made.com et bloomandwild. Et je pense que c’est ça qui m’a donné envie de me lancer dans ma propre entreprise aujourd’hui.

Comment est née Alanna ?

Lors du premier confinement, j’ai perdu deux oncles et une tante, et ça été extrêmement dur. Se réunir était devenu très compliqué, et j’en ai pris conscience. Je me suis dit qu’il manquait une plateforme digitale qui permettait de se réunir à travers le deuil. Et c’est là que j’ai eu l’idée d’Alanna.

J’ai démarré le projet toute seule et j’ai rejoins l’incubateur Euratechnologie à Lille. Ensuite, je me suis mise à la recherche d’un associé, et c’est assez naturellement que je me suis rapprochée de Baptiste Rippes. Nous nous étions rencontrés à La Redoute et avions déjà travaillé ensemble. Lui est expert sur des domaines qui sont moins dans mon cœur de métier, l’informatique et le développement. Donc je pense qu’à nous deux, on forme un tandem idéal.

Pourquoi avez-vous choisi ce nom ? 

Alors c’est vraiment lié au thème qu’on adresse ! On a choisit « Alanna » pour plusieurs raisons. La première, parce que c’est un prénom et qu’on voulait incarner ce service. Le personnifier. Le deuil est un sujet lourd et douloureux qui nécessite d’être accompagné. Et si j’ai choisi ce prénom en particulier, c’est parce derrière, on y trouve des notions comme l’harmonie et la justice, qui sont dans notre projet. Mais c’est aussi pour sa tonalité ! C’est un prénom doux et mélodieux qui s’adapte bien au sujet.

Expliquez-nous en quoi consiste exactement Alanna ?

Remettre la vie des gens au cœur du processus

Vous êtes donc une plateforme digitale, quels sont les services que vous proposez précisément ? 

On a bâti notre service autour de trois piliers. Le premier, c’est qu’on va être présent avant un décès. On permet à chaque personne de penser à soi et donc de préparer sa propre mort, venir enregistrer à la fois ses volontés, des choses très personnelles nous concernant, mais aussi des choses plus utiles à savoir pour l’entourage pour une succession. 

Le deuxième pilier, c’est le côté social de notre plateforme. Elle permet aux familles de créer un espace de souvenir, une page en hommage à une personne décédée. Je suis très orientée vers l’humain et je pense que c’est très important de remettre la vie des gens au cœur du processus. On peut donc communiquer sur des points très pratiques et concrets : l’avis de décès, préciser où vont se passer les obsèques, organiser une cagnotte, préciser si la famille se réunit ensuite et où, etc. On permet également à tout ceux qui ne peuvent pas se déplacer de participer aux obsèques à distance, via un lien de retransmission en direct. Mais sur notre plateforme, on a aussi un espace complètement privé, où les familles pourront échanger des choses très personnelle, des souvenirs, des anecdotes dont on n’a surtout pas envie qu’ils soient vus par tous. 

Et enfin notre troisième pilier, c’est l’accompagnement des familles sur la durée. Souvent, tout se concentre sur la semaine qui suit le décès et les obsèques alors que finalement un décès, ce n’est pas que ça. C’est beaucoup plus long aussi bien dans le travail de deuil que dans les démarches. Chez Alanna, on accompagne donc les familles dans l’ensemble des démarches administratives qui sont à réaliser après un décès. Nous aidons également à trouver des professionnels pour avoir des réponses et du soutien sur l’ensemble des questions que l’on se pose. On agit un peu comme une plateforme sociale, mais aussi une marketplace, et je pense qu’on est les seuls en France voire dans le monde à le faire.

Alanna mockup site

Vous êtes entièrement gratuit, comment vous rémunérez-vous ?

En effet, on a fait le choix d’être complètement gratuit pour les utilisateurs. Lors d’un décès, on est déjà sur un coût énorme pour les familles : l’organisation d’obsèques, la gestion d’un décès, c’est très couteux. On a vraiment voulu être accessible pour tenter de gommer un peu les inégalités sociales. Notre rémunération, on va la tirer des professionnels. Ils nous rémunèrent pour leur présence sur la plateforme et on va également toucher des commissions sur les services qu’on y vendra.

Quel est l’intérêt d’apporter du digital à un secteur tel que le vôtre ?

La mort, un sujet universel !

La mort, c’est un sujet très dur à aborder, encore très tabou et traditionnel surtout en France, comment en parlez-vous ?

D’abord, on a voulu créer une marque positive. Notre mission, c’est d’aider les familles à traverser un deuil pour qu’elles en sortent le plus vite possible et qu’elles le vivent de la meilleure façon qu’il soit. Donc on adopte toujours un discours positif, tourné vers l’avenir. On utilise un vocabulaire chaleureux, bienveillant, accueillant. Ce qui permet de faire accepter le sujet.

Et puis, la mort, c’est un sujet qui est universel ! Dans toutes les cultures du monde, quand on perd un proche, on célèbre sa mémoire et derrière on a à gérer les conséquences de son départ. En France, aborder le sujet est encore compliqué. On met encore beaucoup de barrières, mais on y arrive ! Le changement se fait surtout avec la nouvelle génération. Pour les baby-boomers et les gens plus âgés, c’est vrai que ça peut être compliqué. Alors que pour les gens de mon âge, ça devient de plus en plus simple. Et pour des personnes encore plus jeunes, là, ils sont vraiment complètement plus libérés sur le sujet.

Et quid de votre utilisation des réseaux sociaux ?

On les utilise principalement pour se faire connaître. Nous écrivons beaucoup de contenus aussi, on tente de répondre aux questions que se posent les familles afin de montrer notre savoir-faire. Alanna est présent sur Facebook et Instagram. On veut traiter l’ensemble de nos services (qui sont très nombreux !) et montrer qu’on est présent à toutes les étapes. On essaie donc de multiplier les angles pour montrer l’ensemble de nos compétences.

« De grandes choses à construire avec les assureurs ! »

Quel est le lien entre Alanna et l’assurance ?

Dans l’assurance, il y a la prévoyance, et sur Alanna, il y a prévoyance également ! Puisque l’idée, c’est justement de pouvoir anticiper et de venir prévoir ce qu’il va se passer et, par la suite, d’y apporter la meilleure des réponses possibles.

Que pouvez-vous concrètement apporter aux assureurs ?

Dans la FrenchTech, seules 3 % des dirigeants de startups sont des femmes. Le ressentez-vous au quotidien ? 

C’est vrai que dans le domaine de la tech et dans le celui de l’entrepreneuriat, il y a très, très peu de femmes. Et c’est dommage ! Je pense que c’est lié à deux choses. Premièrement, peut-être que les femmes n’osent pas assez. Entreprendre, c’est comme n’importe quel projet. Ce sont des étapes à accomplir. Et quand on décompose, ce n’est pas si difficile. Et la deuxième chose, c’est peut-être que les hommes, de leur côté, ne sont pas assez accueillants. C’est plus compliqué de se faire sa place en tant que femme, notamment parce qu’on est plus facilement jugée. Il faut que les hommes assouplissent le regard qu’il portent sur les femmes pour les aider dans cette démarche plutôt que de contribuer au fait qu’elles soient impressionnées.

Je pense que c’est par l’éducation et la communication que le changement doit se passer. Et puis pourquoi pas par du parrainage ? Que certaines femmes se mettent à parrainer d’autres femmes pour les encourager et les accompagner.

D’après une étude consacrée à la mort numérique menée par la plateforme DeadSocial, spécialisée dans l’héritage digital, « 55 % des personnes interviewées ont déjà consulté le compte d’ami ou d’un membre de sa famille après son décès. » Si tout le monde est déjà présent sur internet et les réseaux sociaux de son vivant, pourquoi ne pas continuer à l’être après sa mort ? Et permettre ainsi à « ceux qui restent » de se retrouver autour de souvenirs communs plutôt que de s’isoler. De quoi donner certainement des idées aux professionnels de l’assurance qui doivent aujourd’hui s’éveiller à ce sujet de la mort numérique auquel leurs clients seront, inévitablement, confrontés tôt ou tard.